GabonSoir vous livre l’intégralité du compte rendu de la première journée d’audience du procès du coup d’Etat manqué du 7 janvier 2019. Audience tenue ce 18 juin à Libreville où comparaissaient le lieutenant Kelly Ondo Obiang et 8 militaires co-accusés. Compte rendu réalisé par l’ONG SOS Prisonniers Gabon.
Affaire du soulèvement manqué du 7 janvier 2019 : compte-rendu du premier jour de l’audience du vendredi 18 juin 2021 (De 9h28 à 20h53). Dès 7h du matin, le public arpente déjà les couloirs du Palais de Justice de Libreville, en attente de l’ouverture de la salle d’audience qui va arbitrer le procès certainement le plus attendu de ces dernières années… pour ne pas dire de la génération 2000.
Un procès qui méritait pourtant d’être diffusé en direct sur la chaîne nationale. C’est finalement aux alentours de 9h28 que la cloche qui annonce l’arrivée des membres de la Cour spéciale militaire va retentir dans la salle.
Les 9 accusés sont le Lieutenant Kelly Ondo Obiang, l’Adjudant Dimitri Wilfried Nze Minko, l’Adjudant Estimé Bidima Manongo, le Sergent-chef Alain Abdel Ango, l’Adjudant Paul Sadibi Ibinga, le Maréchal de logis chef major Armelle Ulrich Afana Ango, le Maréchal de logis chef Bell Mfoumbi Wora, le Maréchal de logis chef Guy Roger Mintsa et le Maréchal de logis chef Gille Yoka.
Ils sont poursuivis pour “atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat”, “complicité d’atteinte à la sûreté de l’État”, ”association des malfaiteurs”, “vols avec des simples violences”, “séquestration arbitraire”, “dégradations des biens publics” : des crimes et délits punis par les articles 68, 48, 49, 193, 333 du Code pénal gabonais.
Les détenus sont appelés à la barre. Quatre agents se mettent à gauche de Kelly Ondo Obiang, les quatre autres à sa droite. Le président de la Cour met à la disposition des accusés des nouveaux masques, car certains parmi eux portent des masques vétustes. Aussitôt, quelqu’un murmure “ c’est une audience militaire mais pourquoi les 9 accusés ne sont pas en uniforme militaire ?".
Après les formalités de la composition de la Cour, lecture de l’arrêté du ministre de la Défense portant désignation des juges militaires, tirage au sort des officiers qui vont composer ladite Cour, prestations de serments des juges militaires… Le procureur de la République rappelle aux nouveaux juges militaires qu’un juge n’a pas de parent ni famille, que c’est un être Seul, qu’il est soumis seulement à l’autorité de la loi et à son intime conviction.
Quant au président de la Cour, il dit alors à ses "nouveaux collègues" que les accusés bénéficient de la présomption d’innocence et de ne pas se fier aux réseaux sociaux mais à la loi. Les 4 juges militaires sont invités à prendre place aux côtés des 3 autres magistrats professionnels. La Cour est complète. Les hostilités peuvent démarrer. Le président de la Cour appelle à la barre les 16 témoins de l’accusation.
Les témoins sont composés des agents de forces de l’ordre, de certains journalistes présents à la Radio télévision gabonaise (RTG) le 7 janvier 2019 et de quelques parents de détenus. Le Ministère Public n’est donc pas venu à cette audience pour s’amuser : avec 16 témoins, cela semble être une tâche difficile pour la défense.
Le président de la Cour, demande à la défense (aux avocats des accusés) s’ils n’ont pas des témoins à faire comparaître. L’un d’eux, Me Jean Paul Moumbembé dit à la Cour, que son témoin c’est ALI BONGO ONDIMBA, donc qu’il doit également comparaître.
Il ne fallait pas... le président de la Cour va sermonner l’avocat "nous ne sommes pas ici dans un cirque pour faire la comédie ! En qualité de Président de cette Cour, j’ai des pouvoirs et je peux en user". La tension monte d’un cran. Me Moumbembé visiblement ne se laisse pas intimider, ni influencer. Il revient à la charge : "vous menacez les avocats ?"
Moumbembé appelle à l’intervention d’un membre du Conseil de l’ordre des avocats. Me Cédric Maguisset, membre du Conseil de l’ordre des avocats, va alors intervenir. Il dit à la Cour que des tels propos sonnent mal aux oreilles des avocats.
Aussitôt le président rassure l’avocat, ajoutant que l’audience va se tenir en toute sérénité. Le président esquisse même un sourire. Mais Me Moumbembé, très remonté, a du mal à se calmer.
Vient alors comme un vent impétueux, qui refroidira les tensions des uns et des autres. Le greffier en chef est invité à faire la lecture de l’arrêt de renvoi de la chambre d’accusation ordinaire. L’audience est suspendue pour 10 minutes à 11h57. Elle reprend finalement à 12h50.
Pendant la suspension, la maman de l’un des accusés en profite pour ravitailler les 9 accusés, avec l’accord des agents de la sécurité pénitentiaire. Elle partage les sandwichs, les bouteilles d’eau Andza, les jus, y compris les croissants. Certains commencent même à se remémorer le bon temps passé en liberté... Le voisin murmure à notre oreille " Que Dieu bénisse cette femme !".
Les choses sérieuses commencent. Me Jean-Paul Moumbembé, avant tout débat de fond, va soulever les exceptions sur l’incompétence de la présente Cour et la nullité d’un acte de procédure.
Sur l’incompétence de la présente Cour Spéciale Militaire, l’avocat se fonde sur l’article 41 du Code de Justice militaire qui dispose “Dans tous les cas, la Présidence de la Cour Spéciale militaire est assumée par un Magistrat du siège désigné pour chaque année judiciaire par décret pris par le Président de la République, sur proposition du Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, après avis du Ministre de la Défense Nationale”.
Me Moumbembé sollicite la communication du décret du Président de la République au cours de l’année judiciaire 2020-2021, ainsi que l’avis du Garde des Sceaux et celui de son collègue de la Défense. Selon l’avocat, s’il manque seulement un seul document, alors cette Cour est incompétente à juger ses clients.
Sur l’exception de nullité de la procédure, Me Moumbembé demande à la Cour d’annuler l’arrêt de renvoi de la Chambre d’accusation ordinaire, en date du vendredi 29 mai 2021. Selon l’avocat, cet arrêt viole l’article 37 du Code de Justice Militaire, dans la mesure où c’est la Chambre Spéciale des Mises en Accusation qui devait rendre l’arrêt de renvoi et non la chambre d’accusation ordinaire.
Me Moumbembé va s’interroger “nous sommes dans quel pays ?” Il dit que la loi dit que la Chambre Spéciale des Mises en Accusation doit être composée du président de la Cour suprême, du Président de la Chambre Judiciaire de la Cour Suprême et des deux officiers supérieurs des Forces armées et de la gendarmerie. Mais la Cour d’Appel a légiféré à la place du législateur, en remplaçant la Chambre Spéciale des Mises en Accusation par la Chambre d’Accusation Ordinaire.
Me Anges Kevin Nzigou, avant de plaider sur ses exceptions, a attiré l’attention de la Cour sur le fait que son client Ondo Obiang Obiang Kelly n’ait pas pu porter son costume et sa chaussure, car l’administration pénitentiaire a refusé cela. Selon l’avocat, faire comparaître son client de cette façon est une atteinte à sa dignité et une volonté manifeste de l’humilier. Il va également soulever les exceptions : d’abord l’incompétence de la Cour, puis la nullité de la procédure à titre subsidiaire. Il va même qualifier le ministre de la Défense "d’indiscipliné". Car, selon Me Nzigou, le Ministre a violé l’article 37 du Code de Justice Militaire.
Quant à Me Cédric Maguisset, l’avocat de Ango Abdel, va solliciter la nullité de la procédure. Car, selon lui, la Chambre d’Accusation n’a pas respecté le principe du contradictoire en requalifiant le “délit” pour lequel son client est poursuivi en “crime”.
Le Ministère Public va requérir pour les rejets de toutes les exceptions d’incompétences et de nullité, sur la communication du Décret portant nomination des membres de ladite Cour. Il dira que le décret a été publié, et c’est à l’avocat d’apporter la preuve que le décret n’a pas été publié. L’avocat de l’état, Me Homa, va qualifier toutes les exceptions de la défense comme étant "fantaisistes" et infondées. Il demande à la Cour de les rejeter.
La Cour va à nouveau suspendre l’audience pour délibérer. C’est à 17h35 que la Cour va rendre sa décision en rejetant les exceptions soulevées par les avocats, puis invitant les parties à continuer l’audience. Me Moumbembé va aussitôt déposer sa déclaration de pourvoi en Cassation auprès du greffier présent à l’audience.
Le président de la Cour rappelle aux avocats de la défense que le pourvoi n’est pas suspensif, donc que l’affaire peut se poursuivre, conformément à la loi. La défense sollicite le renvoi de l’affaire pour lundi à cause de la fatigue. Mais le président de la cour rejette également cette demande. La Cour va poursuivre l’audience par l’enquête de moralité des 9 accusés.
Le président de la Cour va poser la question au lieutenant Kelly Ondo Obiang "comment vous vous définissez ?" Le lieutenant Kelly Ondo Obiang va répondre sèchement "je me définis comme un homme intègre". Et il va faire états des nombreuses injustices subies à la GR, car selon lui les agents qui sont envoyés en stage ne remplissent pas souvent les critères, car les promotions et stages ne se font pas pas sur les critères de méritocratie...
Avant la suspension de l’audience, Me Anges va demander à la Cour que lundi son client et les autres doivent comparaître en tenue militaire, il s’agit d’une audience militaire donc il faut respecter les règles. Puis commence la passe d’arme avec le procureur de la République, qui est contre la demande du jeune avocat. Car le procureur dira à la Cour "nous sommes à une audience spéciale militaire et non à une cour martiale". Me Anges revient à la charge : "je suis avocat et quand on juge un avocat, il comparaît avec sa toge. S’il est reconnu coupable c’est à ce moment qu’on lui retire la robe". Donc les militaires doivent comparaître avec leurs tenues lundi, selon lui.
Me Moumbembé et l’avocat de l’État Me Homa Moussavou vont aller dans le même sens que Me Anges. Il est exactement 20h53 quand le Président suspend l’audience. Lundi, les 9 accusés vont-ils comparaître en tenue militaire ? L’audience de lundi s’annonce électrique, selon un avocat. Le lieutenant Kelly Ondo Obiang a en effet promis de parler et de tout dire pour la manifestation de la vérité...
SOS Prisonniers Gabon, pour l’indépendance de la justice.
Auteur : Rédaction GabonSoir