Ils ont donné leur énergie au combat sous les couleurs de l’armée française et ont, en retour, peiné à acquérir les droits inhérents à leur statut. Eux, ce sont les derniers tirailleurs sénégalais en vie qui ont remporté une dernière bataille avec la suppression de la résidence alternée qui les obligeait à rester au moins la moitié de l’année en France pour ne pas perdre l’allocation minimum vieillesse.
A la faveur d’une dérogation spéciale de l’État français, arrachée suite à une longue lutte, ces vétérans de guerre ont désormais la latitude de rester auprès de leur famille en recevant l’intégralité de leur allocation vieillesse de 950 euros par mois.
Neuf sur la vingtaine encore en vie ont ainsi quitté les modestes résidences sociales de Bondy, dans la banlieue Nord-Est de Paris, pour venir s’installer pour de bon au pays. « Heureux à mon âge d’être là... comme ça si je meurs ce sera entouré de ma famille ; Dieu seul sait ce sera quand », s’est enthousiasmé Yoro Diao, rencontré au domicile d’un de ses neveux, à Kounoune dans le département de Rufisque (30 km de Dakar).
« On menait une vie difficile en France. Vivre sans sa femme, ses enfants et petits-fils, vous imaginez ce que ça fait. Ce célibat dans lequel tu es contraint pose problème car tu dois préparer pour manger ou aller faire des courses. On te donne une chambre avec chauffage mais dehors le froid te tue », a poursuivi le vétéran de 95 ans ayant participé aux guerres en Indochine et en Algérie.
« Nous sommes heureux de rentrer chez nous et de voir nos fils et nos petits-fils. Désormais nous n’aurons plus l’obligation de faire des navettes entre la France et le Sénégal et c’est très important », confie de son côté Ousmane Sagna, enchanté de vivre ses derniers jours dans son Kolda natal (Sud du pays).
Engagement dans l’armée
Né en 1931, Ousmane Sagna a été séduit par les séances de levée de couleurs et s’est, dès son plus jeune âge, vu en homme de tenue. « En route pour l’école, je voyais les gardes de la résidence de l’administrateur colonial qui faisaient monter les drapeaux. Je restais là et je voyais comment ils faisaient avec leurs tenues. Ça m’a plu et j’ai dit que quand je serais grand il faut que je fasse l’armée », se rappelle-t-il.
La guerre d’Indochine qui a éclaté des années plus tard et pour laquelle l’armée coloniale française a fait appel aux autochtones pour s’engager a été une occasion rêvée pour l’adolescent d’alors de réaliser son rêve. « Je me suis alors porté volontaire pour aller en Indochin e », a-t-il dit, rappelant que malgré son enrôlement en 1953, il n’a finalement pas été de la campagne dans ce pays asiatique.
Tout le contraire de Diao qui y a étalé ses faits d’armes. « En Indochine j’étais au 2ème bataillon du 24ème régiment (de marche) des tirailleurs sénégalais », a avancé le nonagénaire ayant intégré l’armée en 1950.
Issu d’une famille de militaires, il n’a eu donc qu’à suivre cette tradition familiale en intégrant les rangs. Recalé à ses deux premières tentatives au niveau de la commission d’enrôlement basée à Saint Louis (Nord), Diao s’est payé une parade impeccable pour franchir le mur que représentait sa petite corpulence.
« J’ai fait l’examen des infirmiers en 1948 et j’ai fait 3 ans pour décrocher un brevet d’infirmier partie chirurgie. Donc quand je suis revenu en 1950 armé de mon parchemin, j’ai été engagé sur le champ », se remémore-t-il, notant que son voyage pour l’Indochine intervenu en 1952 était acté dès ce jour.
Le vétéran n’a pas manqué d’évoquer des souvenirs de cette campagne lors de laquelle il a perdu plusieurs de ses camarades. Le plus vivace dans sa tête étant assurément la première opération vécue dans la fournaise d’Indochine.
« En 1953 j’ai eu le baptême de feu ou notre première attaque. La compagnie a perdu 30 hommes le même jour et la moitié a été transportée par mon équipe », a expliqué l’infirmier militaire qui dirigeait une équipe de brancardage à l’occasion.
« Les combats ont été durs et les tirailleurs ont perdu beaucoup d’hommes. J’ai eu dans ce bataillon des croix de guerre pour acte de bravoure », indique le militaire revenu en 1955 d’Indochine avec le grade de sergent.
« Opération de maintien de l’ordre »
En Algérie, ça a été tout aussi éprouvant pour les tirailleurs sénégalais. « On nous disait que ce n’était pas une guerre mais une opération de maintien de l’ordre », se souvient Ousmane Sagna qui a foulé le sol algérien le 25 mars 1956 avec ses camarades du 3e bataillon du 22e régiment d’infanterie coloniale (RIC), à la frontière algéro- marocaine.
« Vous êtes des musulmans et vous venez combattre vos frères musulmans nous disaient les Algériens », se rappelle Sagna. « Nous sommes un pays colonisé comme vous l’êtes. C’est la France qui a décidé de nous envoyer ici on n’y peut rien », répondaient les tirailleurs sénégalais.
« A ma première opération on a perdu trois de nos camarades ; on était tombé dans une embuscade », raconte encore le soldat ayant fait un stage de six mois à Alger, décrochant un certificat d’aptitude technique afin de participer aux combats, n’ayant pas fait le service militaire.
Même malade, il n’était pas question de répit et Sagna a vécu l’expérience. « Il m’arrivait quand on partait en opération que je sois malade avec des maux de ventre atroces. J’étais obligé de quitter les rangs à chaque instant pour aller aux selles », dit-il évoquant une dysenterie amibienne contractée en Algérie.
Infirmier en Indochine, l’insatiable Yoro Diao part en Algérie l’année suivante avec la soif de se faire une place dans l’armée coloniale. « C’est là-bas que j’ai préparé mon examen. Je suis allé à la capitale (Alger), au centre d’instruction d’infanterie où j’ai fait mon premier degré Cat 2, le certificat inter arme (Cia), le B1 et le B2 pour passer officier. J’ai travaillé dur pour passer officier mais dans l’infanterie », note-t-il, affirmant s’en être sorti des deux guerres sans aucune blessure.
« C’est de la baraka », lance l’homme aux nombreuses croix de guerre et étoiles accrochées à son boubou blanc. « Que de camarades perdus hélas », regrette-t-il toutefois
« Ceux qui ont fait 14-18 ne sont plus là, c’est presque le cas pour ceux de 39-45 et parmi nous, peu sont encore en vie. C’est un devoir que la vraie histoire des tirailleurs soit enseignée aux nouvelles générations. Les manuels scolaires ne les évoquent même pas et ceci est à corriger », dit-il.
La réhabilitation, le long combat hors des tranchées
A l’accession à l’indépendance du Sénégal, Diao a répondu à l’appel de sa patrie après 9 années passées sous les couleurs de l’armée française, à l’instar de la plupart de ses camarades.
« Notre chef de compagnie voulait que je reste car disait-il j’étais un bon élément mais j’ai préféré rentrer pour servir mon pays », note-t-il. Un choix qui l’a acculé à un traitement différent de celui réservé aux militaires français aux côtés desquels ils a été au front.
Une loi votée en 1959 au Parlement français sous l’appellation de cristallisation a bloqué les montants des pensions, retraites et allocations aux anciens combattants issus des colonies à des seuils inférieurs. La décristallisation n’étant intervenue qu’en 2007.
« On a été au front ensemble et les militaires français n’ont pas été plus braves ou courageux que nous », assène-t-il.
Le combat porté par les vétérans est appuyé par des organisations et personnalités dont la plus en vue est Aissata Seck, femme politique française et présidente de l’association pour la mémoire et l’histoire des tirailleurs sénégalais créée en 2008.
« En 2016 j’ai lancé une pétition pour que ces anciens qui avaient fait la demande de nationalité française puissent l’obtenir. Jusque-là, ils étaient confrontés à un certain nombre de démarches administratives complexes comme par exemple fournir l’acte de naissance des parents alors qu’on sait que dans ces pays d’origine, il n’existait pas », a ainsi rappelé la conseillère régionale d’Ile de France dans une déclaration à Francetvinfo. Une pétition ayant récolté plus de 60 mille signatures.
« C’est au milieu des années 80 qu’une note est venue de France pour dire que tous les anciens combattants peuvent venir en France pour une prise en charge », explique Diao qui est retourné en France en 2005 avant qu’il ne soit finalement naturalisé en 2017 comme ses autres camarades.
« L’Etat français n’a pas voulu respecter ses engagements consistant à amener à notre chevet en France nos familles respectives restées au pays comme promis lorsqu’on a été naturalisés », regrette Sagna de son côté.
« On t’exige de rester 6 mois en France et si tu pars au Sénégal, en dépassant un seul jour, on défalque sur ton allocation vieillesse », note Diao, se réjouissant du soutien immense dont ils ont fait l’objet pour cette belle victoire qu’est la levée de la résidence alternée obligée, ultime étape du combat des tirailleurs en vie âgés entre 88 et 95 ans.
« Mieux vaut tard que jamais », s’est réjoui Aissata Seck, femme dont l’engagement sur ce dossier laisse entrevoir un crépuscule calme et chaleureux aux vétérans qui ne demandaient qu’un traitement à hauteur de leur engagement ; un droit assurément.
Auteur : Gabon Matin